Le mois de mai à Bruxelles a ses rites. Chaque printemps, les serres royales de Laeken ouvrent leurs portes pour quelques semaines, offrant au public un voyage sensoriel à travers les floraisons rares et les architectures végétales imaginées au XIXe siècle par Alphonse Balat, sous la houlette du roi Léopold II. Pour quelques jours encore, jusqu'au au 10 mai 2025, les jardins réservent une surprise supplémentaire à ceux qui ont obtenu le précieux sésame : l’accès à un lieu discret et méconnu, l’atelier de la reine Élisabeth. Un havre de silence et de création, niché dans le parc, où l’histoire d'une reine dialogue avec l’intime d'une grande amatrice d'arts et de musique.

Par ailleurs, ce lundi 5 mai, le prestigieux Concours musical international Reine Élisabeth débutera sa session piano, confirmant encore l’héritage vivant de cette souveraine hors norme. Une reine musicienne, sculptrice, dessinatrice, pionnière de la diplomatie culturelle, dont le parcours mérite d’être raconté.

Née duchesse Élisabeth en Bavière en 1876, elle grandit dans un environnement singulier. Son père, le duc Charles-Théodore, n’est pas seulement un prince bavarois : il est aussi ophtalmologue, passionné de science, et philanthrope convaincu. Sa mère, Marie-Josèphe de Portugal, l’élève dans une culture où les arts ne sont pas accessoires mais essentiels.

Le duc Charles-Théodore en Bavière avec sa famille : son épouse Marie-José et leurs trois filles, Amalie, Sophie et Élisabeth - Photo appartenant au domaine public

Très jeune, Élisabeth reçoit des cours de violon, qu’elle poursuivra toute sa vie. Elle étudie aussi le dessin, la peinture, la sculpture. Mais surtout, elle est curieuse : elle lit, elle observe, elle écoute. Ce goût pour les formes et les savoirs la suit à Bruxelles, lorsqu’elle épouse le prince Albert de Belgique en 1900. Une union solide et complice.

Fiançailles d'Albert et Elisabeth - Photo appartenant au domaine public

Lorsqu’Albert devient roi en 1909, Élisabeth entre dans l’Histoire. Mais elle ne se fond jamais dans le seul rôle d’épouse de monarque. Très vite, elle impose sa propre signature.

Pendant la Première Guerre mondiale, elle se rend sur le front, visite les blessés, organise des secours. Les soldats l’appellent affectueusement la Reine infirmière. Mais au-delà de son engagement humanitaire, elle continue à fréquenter artistes et scientifiques, souvent loin des convenances. Elle reçoit Albert Einstein au château de Laeken, un ami personnel qu’elle soutient dans les années 1930 alors que la situation en Allemagne se dégrade. Dans ses carnets, Einstein note qu’Élisabeth a l’oreille absolue, et l’œil d’un vrai sculpteur.

Dans les jardins du domaine royal, au bord d’un bosquet discret, elle fait construire un petit atelier, aujourd’hui visible pendant l’ouverture annuelle des serres. Ce bâtiment simple au toit de chaume contraste avec le faste des serres et des palais. C’est un lieu à son image : humble, serein, tourné vers la lumière. Elle y sculpte des têtes, des bustes, travaille la glaise, taille le bois.

On y trouve encore, dans les réserves, quelques œuvres qu’elle réalisa elle-même : un autoportrait en terre cuite, le profil de son fils Charles, ou encore une tête de jeune fille inspirée de ses visites à l’orphelinat d’Uccle. Ce n’étaient pas de simples passe-temps. Elle prenait des cours, se soumettait à la critique. Certains de ses travaux furent même exposés discrètement, sous pseudonyme, dans les années 1920.

Mais la passion la plus constante d’Élisabeth reste la musique. Elle ne se contente pas d’aimer : elle joue, elle soutient, elle rassemble. Dès les années 1920, elle invite à Laeken les grands noms de l’époque : Eugène Ysaÿe, Pablo Casals, Clara Haskil, Arthur Grumiaux. Elle organise des concerts privés où les talents jeunes et confirmés se croisent.

La reine, à gauche, près d'Eugène Ysaÿe au centre, à La Panne en mai 1916 - Photo appartenant au domaine public

C’est d’ailleurs avec Eugène Ysaÿe qu’elle fonde en 1937 un concours pour jeunes violonistes destiné à projeter les artistes belges et internationaux sur la scène mondiale. Après la mort d’Ysaÿe, le concours portera son nom à elle : Concours musical international Reine Élisabeth. Le piano, le chant, le violoncelle viendront s’ajouter à la discipline initiale. Depuis, l’événement a révélé des dizaines de grands noms, de David Oïstrakh à Boris Giltburg, en passant par la génération montante.

Son influence ne s’arrête pas à sa disparition, en 1965. Sa Chapelle musicale, fondée dès 1939 à Waterloo, continue de former de jeunes talents, dans un esprit d’excellence et d’humanité. Les archives de Laeken témoignent encore de sa correspondance foisonnante avec les compositeurs, les artistes, les penseurs.

Et l’atelier ? Il reste, immobile, comme un fragment du temps, témoin certaine d’une autre façon de régner : avec intuition, sensibilité et vision. Ceux qui auront la chance de visiter les jardins de Laeken ce printemps pourront y faire halte. Ce ne sera pas une visite anodine : ce sera entrer dans la confidence d’une femme qui fit des arts un instrument de diplomatie, de transmission, et de vérité.

Le Concours Reine Élisabeth, session piano, aura lieu du 5 au 31 mai 2025. Toutes les informations sont disponibles sur le site officiel du concours. Les billets pour les serres royales de Laeken sont tous vendus pour cette saison, mais l’atelier de la reine reste visible dans le parcours des visiteurs munis de tickets.

Concours Reine Elisabeth
Chapelle Musicale Reine Elisabeth
Concours Reine Elisabeth, piano 2025, en direct et en replay, en streaming sur Auvio - Auvio
Page d'accueil ♔ Serres royales de Laeken