J'ai récemment eu l'occasion de visiter l'Hôtel Solvay, dans le cadre de l'année Art Déco, à Bruxelles. Ce joyau signé Victor Horta célèbre cette année les 25 ans de son inscription au Patrimoine Mondial de l'UNESCO. L'occasion pour en savoir plus sur les notions de Patrimoine mondial et de préservation.
Au total, l'UNESCO a inscrit 952 biens culturels, 231 biens naturels et 40 mixtes, dans 168 Etats.
Source : www.unesco.org
L’anniversaire de l’inscription de l’Hôtel Solvay au Patrimoine mondial de l’UNESCO est bien plus qu’une célébration symbolique. Il nous invite à regarder le Patrimoine autrement : comme un espace vivant, en dialogue avec les générations, les cultures et les défis de notre temps. C'est l'occasion de s'intéresser de plus près à cette notion de Patrimoine parfois vague pour le public.
Depuis octobre 2024, la Convention du Patrimoine mondial a été ratifiée par 196 Etats. Ce document a pour objectif de protéger les biens culturels et naturels présentant une valeur universelle exceptionnelle. Elle établit une liste reconnue à l’échelle internationale, encourage la coopération entre les États, soutient les efforts de conservation et sensibilise à l’importance de transmettre ce patrimoine aux générations futures, dans une perspective de développement durable.
Entretien avec le Professeur David Vandenbroucke de l'UCLouvain, spécialiste du Patrimoine architectural et des questions de préservation.
Que signifie, au juste, une inscription à l’UNESCO ?
David Vandenbroucke : On parle d’inscription au Patrimoine mondial de l’UNESCO, et non de classement. Le classement est une notion juridique propre à chaque pays, assortie d’obligations légales et de possibilités de subsides. À l’inverse, l’inscription correspond à une reconnaissance internationale : elle met en lumière un bâtiment, un site naturel ou un élément immatériel, sans pour autant produire d’effets juridiques contraignants. Cela dit, elle apporte de la visibilité, de l’attractivité, et permet à l’UNESCO de mobiliser des experts, de proposer des processus d’accompagnement ou de valorisation. Mais il n’y a pas de financement direct.
Un bien inscrit à l’UNESCO doit-il forcément être classé dans son pays ?
Souvent, les biens qui accèdent à une inscription à l’UNESCO sont déjà classés dans leur pays d’origine, ne serait-ce que pour garantir leur protection. Toutefois, ce n’est pas une condition obligatoire. Certains pays ne disposent pas de procédures de classement comme celles que nous connaissons en Belgique. Il arrive donc que des sites – en particulier naturels – soient inscrits au Patrimoine mondial sans bénéficier de mesures nationales de protection.
Comment se décide une inscription au Patrimoine mondial ?
L’UNESCO organise régulièrement des assemblées au cours desquelles les candidatures sont débattues. Cela peut concerner des biens culturels, des sites naturels ou du patrimoine immatériel. Dans certains cas, il s’agit de biens en péril, qui nécessitent une reconnaissance internationale pour enclencher des dynamiques de sauvegarde, d’expertise ou de mobilisation politique.
Au fil des décennies, la politique d’inscription a évolué : si, au départ, l’UNESCO se concentrait principalement sur des biens situés en Europe, elle privilégie aujourd’hui des candidatures venues d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud ou d’Océanie, afin de rééquilibrer la représentation géographique et culturelle.
La notion de patrimoine a-t-elle changé au fil du temps ?
Oui, considérablement. Le patrimoine n’a cessé de s’élargir dans sa définition comme dans ses formes. Dès 1931, le Congrès d’Athènes a posé les premiers principes de la restauration. Puis la Charte de Venise, en 1964, a établi les fondements de la conservation moderne. Mais un tournant essentiel s’est produit avec la Charte de Nara, au Japon, en 1994. Elle a réinterrogé la notion d’authenticité, longtemps limitée à la seule ancienneté des matériaux.
Au Japon, certains temples sont reconstruits rituellement tous les 25 ans avec les mêmes gestes et les mêmes matériaux. Le bois est renouvelé, mais le savoir-faire est immuable. Ces temples sont donc considérés comme authentiques non pas parce que la matière est ancienne, mais parce que la tradition est respectée depuis plus de deux millénaires. Cette approche a ouvert la voie à une compréhension plus large et plus contextuelle du patrimoine.
En quoi la conservation du patrimoine rejoint-elle les enjeux du développement durable ?
La conservation est souvent perçue, à tort, comme une forme d’immobilisme ou un obstacle à la modernité. En réalité, préserver, c’est éviter de détruire. C’est donc aussi éviter de consommer à nouveau des ressources, de produire des déchets, de gaspiller des savoir-faire. Restaurer, adapter, transmettre : ce sont des actes profondément durables.
Conserver un bâtiment, c’est l’inscrire dans le temps, l’adapter intelligemment plutôt que le remplacer systématiquement. Cela participe à une forme de sobriété constructive qui s’accorde parfaitement avec les préoccupations écologiques contemporaines.
Pourquoi décide-t-on de préserver un bâtiment plutôt que de le laisser disparaître ?
Un bâtiment peut avoir plusieurs types de valeur. Il y a d’abord la valeur d’usage : tant qu’il remplit une fonction, il est maintenu. Mais lorsqu’il cesse d’être utile, d’autres valeurs peuvent prendre le relais. La forme, la matière, le style, l’histoire, le lien avec des événements ou des personnes : tout cela peut justifier sa préservation.
La matière elle-même peut avoir une valeur. Elle porte les traces du temps, des outils, des gestes. C’est ce qui confère au bâti une identité, une singularité. Il ne s’agit plus d’un simple assemblage de pierres, mais d’un témoin, d’un héritage.
La reconnaissance patrimoniale repose donc sur un faisceau de critères : esthétique, artistique, historique, technique, symbolique. Ces critères évoluent avec les époques. Il y a cinquante ans, on s’inquiétait de la disparition des quartiers anciens. Aujourd’hui, on questionne la consommation énergétique. Et demain, d’autres priorités guideront sans doute nos choix. En fin de compte, la vraie question est : quelles valeurs voulons-nous transmettre aux générations futures ?
Un conseil de lecture pour celles et ceux qui souhaitent approfondir ces sujets ?
Je recommande vivement L’Allégorie du patrimoine de Françoise Choay, publié en 1984. C’est un ouvrage fondateur, qui retrace la manière dont la notion de patrimoine s’est construite, de siècle en siècle, en Occident. Il met en lumière les tensions, les débats, les ambitions qui ont traversé l’histoire de la conservation.
Et pour rester en phase avec les pratiques actuelles, les publications des administrations régionales en Belgique sont très instructives. Que ce soit en Wallonie, à Bruxelles ou en Flandre, ces documents permettent de suivre les chantiers en cours, les nouvelles approches, les enjeux émergents ■
Quelques références :
https://patrimoine.brussels/decouvrir/publications/revue-bruxelles-patrimoines
https://agencewallonnedupatrimoine.be/la-lettre-du-patrimoine/
https://menl.be/home#/magazines/2024
https://www.monuments-nationaux.fr/editions-du-patrimoine/collections/monumental
Patrimoine mondial et Icomos
https://whc.unesco.org/fr/list/
https://icomoswalloniebruxelles.be/association/